80ème anniversaire du Dojo de Waseda – octobre 2011 – Tokyo, Japon
« Marcher est aussi le Karaté… »
Nous avons atterri à l’aéroport d’Osaka - région du Kansai -, le samedi 8 octobre à 8 heures 35. Ce fut un vol parfait qui nous a permis de gloser de longues heures sur le karaté et la vie en générale. Pendant que Denis BAUER, notre président, Laurent DUC, Jean-Louis GEORGELIN, Jean-Marc PHILIPPE et moi-même, nous apprêtions à amorcer avec enthousiasme notre périple japonais, Richard HIEGEL et Jean-Louis VERAN reprenaient quant à eux un vol pour Okinawa. Objectif : rencontrer Maître Kiyohide Shinjô, héritier de l’école Uechi Ryu, sollicité par Maître Tsutomu OHSHIMA afin de leur faire goûter les saveurs d’une école authentique. Maître Shinjô a été 9 fois champion d’Okinawa toutes catégories, la casse de battes de base-ball avec l'avant bras et de planches en Tsumatsuki geri - coup de pied donné avec la pointe des orteils -, sont deux de ses spécialités.
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Pendant que Jean-Louis et Richard se durcissaient les jambes à grands coups de Tsumatsuki geri, nous profitions allègrement du séjour. A Kobé, nous avons visité le château de Himeji, entièrement recouvert d’un énorme échafaudage et en face duquel nous avons exécuté quelques Jutte à la nuit tombée, après notre retour en bus du Mont Shosha où nous avons admiré, entre autres, le Temple Engoji – un des lieux de tournage du film Le dernier samouraï. L’architecture de ce temple inspira également Alain Gabrielli pour la conception et la réalisation du Dojo de Maître OHSHIMA à Santa Barbara.
Le lundi 10 octobre, nous décidâmes de louer des vélos, très pratique pour visiter Kyoto, ses parcs et ses magnifiques temples : Takoyakushi-dori, Takakura-Nishi, Nakagyo-ku… Nous passâmes la deuxième partie de l’après-midi au Kyoto Budo Center où nous avons assisté à différents entrainements : iaidō, kyūdō, Bō-jutsu…
Le mardi 11 octobre, après deux jours passés à Okinawa, Jean-Louis et Richard nous ont rejoint à Nara, enrichis de leur nouvelle expérience martiale mais les jambes quelque peu contusionnées... Nous avons profité de la quiétude imprégnant des hauts lieux sacrés de Nara, visité le Temple Tôdai-ji et put admirer le Grand Bouddha ou le Daibutsu en Japonais. A la gauche de cette statue mesurant 18 mètres de haut et datant de 752, s’en trouve une non moins magnifique, en bois recouvert d’or, celle du Bosatsu Kokuso – Bodhisattva. Nous avons ensuite cheminé le long d’allées aux 3000 lanternes de pierre, au travers un parc boisé vers le sanctuaire Kasuga Taisha.
Arrivés au milieu de notre voyage, nous restions profondément frappés par ce qui nous était donné d’observer : le sens de l’accueil, la retenue, la pondération, la discrétion, la rigueur, l’ordre… Ici, la culture nous paraît également inscrite dans les corps. Autrement dit, il y a là une forme atavique de langage qui passe par la posture. Certaines nipponnes paraissent avancer en hangetsu dachi – sans doute les conséquences morphologiques liées à la position à genou où le galbe des fesses a épousé des longues années durant celui des chevilles et des pieds. Là, le corps paraît bel et bien contraint à la forme par une maîtrise profonde du soi, moulé dans une certaine quête ritualisée de la perfection absolue - kata…
Ici, quand par maladresse vous bousculez l’autre c’est lui qui le plus souvent s’excuse le premier. Le respect s’impose tranquillement à vous. Une sorte de quiétude, « de sérénité » - souligne Richard -, presque inconnue jusque là, vous habite en prenant le pas sur nos vies tumultueuses d’avant le voyage. Et après interroge Jean-Marc : « Qu’en restera-t-il ? »
Le mercredi 12 octobre 2011, de retour sur Kyoto, nous reprenons le vélo pour le Ryōan-ji, littéralement le temple du repos du dragon - une merveille de temple zen qui invite même les plus dissipés au recueillement -, dans la foulée, nous avons également visité le Kinkaku-Ji – le temple du Pavillon d’or. En fin d’après-midi, nous avons monté au pas de course les flans de colline pentus qui mènent au Kiyumizu dera depuis lequel nous avons admiré le coucher du soleil… Et si tout cela valait quelques bons entrainements ?… A Denis de répondre que c’est certainement aussi cela le karaté, alors paraphrasant le Shodoka - le chant de l'immédiat satori :
« Marcher est aussi le Karaté
S'asseoir est aussi le karaté
Que l'on parle ou que l'on soit silencieux,
Que l'on bouge ou que l'on soit immobile,
le corps demeure toujours en paix.
Même si on se trouve face à une épée,
l'esprit demeure tranquille. »
Il y a là comme un code de l’honneur ancestral incorporé qui donne une certaine retenue aux émotions – une admirable contenance. A l’image de cette hôtesse dans le train qui nous mène à Tokyo, debout, elle pose légèrement ses mains sur son ventre et s’incline avec le sourire pour saluer le wagon. Puis, la voilà qui sans rien changer à l’expression radieuse de son visage pousse de nouveau son chariot comme si c’était la chose la plus importante au monde. Devant tant de sérénité feinte ou réelle, comment imaginer qu’il y a quelques mois, le vendredi 11 mars 2011, le sort frappait sinistrement dans sa chair ce peuple ; tremblements de terre, tsunamis, des épreuves qui stigmatiseraient à jamais le pays - Fukushima…
Le jeudi 13 octobre, nous avons put découvrir un peu de l’architecture contemporaine de Tokyo dans le quartier de Roppongi notamment le Prada Super-store, l’impressionnant National Art Center Tokyo dont nous avons fait une trop courte visite. Après une initiation à la voie du thé – Chadô -, on a continué la soirée dans une « brasserie bavaroise ». C’était très décalé et drôle. Ce furent d’excellents moments partagés avec nos amis japonais et sensei Ono en maître de cérémonie.
Vendredi 14 octobre, entraînement avec l’ensemble des délégations à 9 heures, nous avons présenté Jutte, à la table Maître WATANABE nous honorait de sa présence… Enchaîné quelques sambon kumité puis, les combats, un peu durs… Nous avons eu à déplorer le tibia cassé d’un participant israélien. Pourtant Maître Tsutomu OHSHIMA avait rappelé auparavant quelques règles élémentaires quant au respect de l’autre et à la maîtrise de soi, qui commence par le contrôle de nos émotions. Le karaté doit nous permettre de faire face à nous-même, de contrôler notre peur. « N’oubliez jamais – nous dit-il -, que jusqu’à votre dernier souffle sur cette terre, votre pire ennemi c’est vous-même. »
Le soir, nous avons visité l’Université de Waseda et profité d’une réception extraordinaire, au cours de laquelle, notre président a fait avec beaucoup d’émotions son discours. En fin de soirée, nous nous sommes mêlés aux danseurs folkloriques japonais afin de danser – même Maître OHSHIMA et son vénérable sénior Maître WATANABE se sont prêtés au jeu…
Le samedi 15 octobre, après une visite très matinale et furtive d’un des plus grand marché aux poissons du monde à Tsukiji et une longue promenade jusqu’au temple le plus ancien de Tokyo – le Asakusa Kannon -, nous découvrions enfin en début d’après-midi le dojo de Waseda. Ensuite, nous nous sommes tous réunis dans le vaste dojo de Kendo de l’Université pour le dernier entraînement collectif et les démonstrations devant un parterre de maîtres et de dignitaires : katas, torite, nage wasa et bien sûr quelques combats d’exhibitions auxquels tout comme la veille, j’ai eu la grande chance de prendre part en tant que capitaine de l’équipe des membres visiteurs. Après la douche, le temps d’enfiler une tenue de soirée et nous nous retrouvions dans une superbe salle de réception d’un grand hôtel pour clore les festivités du 80ème anniversaire.
Notre président offrait le cadeau de France Shotokan, une reproduction de deux mains presque jointes – sculpture dont le geste évoque le spirituel, le « rapprochement » évoqué par Denis lors de son discours. Cette œuvre d’Auguste RODIN que l’on peut admirer à Paris au Musée Rodin fût appelée en 1908, La Cathédrale.
Vers 21 heures 30 l’émotion était à son comble, nous repartions alors vers le Haneda Airport convaincus, comme nous l’enseigne Maître OHSHIMA que : « L'harmonie est la chose la plus précieuse de la vie. »
Tous d’abord nos remerciements vont en premier lieu à Richard HIEGEL qui nous concocta un raod-book équilibré contribuant à faire de notre voyage au Japon un périple extraordinairement riche.
Personnellement, je remercie très amicalement l’ensemble des séniors de France Shotokan déjà cités. Plus que jamais, ils m’auront aidé à comprendre que sur la voie de l’amélioration de soi, le monde est un vaste et magnifique dojo…
Domingos PEREIRA